samedi 16 avril 2011

l'Albatros

poème de Charles Baudelaire que ma soeur Françoise aimait tant 

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poête est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)
L'idée initiale de ce poème, paru seulement en 1859, remonterait à un incident du voyage à la Réunion (1841). Pour symboliser le poète, Baudelaire ne songe ni à l'aigle royal des romantiques, ni à la solitude orgueilleuse du condor, décrite par Leconte de Lisle. Il choisit « un symbole plus douloureux » : l'albatros représente « la dualité de l'homme » cloué au sol et inspirant l'infini ; il représente surtout le poète, cet incompris. Il a vraisemblablement été inspiré à Baudelaire par son voyage en bateau à destination de l'île Bourbon alors qu'il avait à peine 20 ans. La « pêche à l'Albatros » (avec une ligne portant un liège et un triangle de fer amorcé à la viande) était traditionnelle à bord des voiliers au « grand long cours » au-delà des trois caps. L'instrument de pêche triangulaire servait d'ailleurs d'emblème à l'association des anciens marins cap-horniers.
L'Albatros était souvent vu par les marins de l'époque comme malfaisant car un homme tombé à la mer (qu'on ne pouvait pas en général repêcher) était aussitôt attaqué à coups de bec par les albatros.
Traditionnellement, l'albatros ainsi pêché servait aux marins à réaliser divers objets en dehors de leurs heures de quart : la peau des pattes devenait blague à tabac, certains os servaient à confectionner des mâts et vergues pour les maquettes de navires et le bec était monté sur une tête d'albatros en bois sculpté,comme pommeau d'une canne faite de vertèbres de requin enfilées sur une tige de fer, classique cadeau de l'équipage à son capitaine en fin d'une bonne traversée.

Matisse : la mer vue sur Collioure

4 commentaires:

  1. Coucou Colette,
    J'aime bien ta copie de Manet, bien sûr, je connais la poésie sur l'albatros mais je ne savais pas comment les marins utilisaient celui-ci pour confectionner autant d'objets!
    Bisous
    Gisèle

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  2. Ne sachant rien - ou presque - de l'albatros, ton billet me fait mieux comprendre la texte de Baudelaire qui m'émeut autant aujourd'hui que lors de ma première lecture à 13-14 ans ! Un rare texte qui n'a pas perdu son pouvoir avec les années ...

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  3. Il est superbe ce poème ! Baudelaire avait un immense talent d'écriture.
    Il est remarquablement bien illustré.
    Très bon dimanche, bises

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  4. J'aime ce superbe proverbe. Les générations actuelles ont-elles conscience de cette beauté et de celle de la poésie qui pourrait se substituer à la violence?

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